Les poissons oligocènes du Luberon

J’ai initialement publié ce texte sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.

La photo du jour : pendant le confinement, les géologues du CGO vous proposent une photo commentée par jour pour continuer à voyager sur le thème de la Géologie. Bonne (re)découverte !

Mercredi 1er avril : Les poissons du Luberon.

Étant donné la date du jour, je comptais initialement vous faire une petite blague de géologue, sur le thème de la terre plate ou de la terre creuse. Cependant, en cherchant un peu d’inspiration sur le web, je me suis rendu compte que ce genre de théorie farfelue était encore prise au premier degré par certaines personnes*. Et là, quand la réalité rattrape l’humour, c’est tout de suite beaucoup moins drôle (sans oublier que je n’ai pas non plus envie d’être cité au premier degré sur un de ces sites complotistes). J’ai donc décidé qu’aujourd’hui, j’allais plutôt vous parler de poisson, ça reste dans le thème !

Fossile de poisson Oligocène sur le point de pondre. Photo prise au musée de Vachères.
Fossile de poisson Oligocène sur le point de pondre. Photo prise au musée de Vachères.

Mais attention, je vous vois venir, rangez tout de suite la canne à pêche ! Pas de n’importe quels poissons, de poissons protégés par une réserve naturelle nationale géologique : celle du Luberon (http://www.reserves-naturelles.org/geologique-du-luberon). Cette réserve, d’une superficie totale de 400 hectares répartie en 28 sites, a été créée en 1987 pour protéger l’exceptionnelle richesse en fossile que présente cette région.

Les fossiles qui nous intéressent aujourd’hui datent d’une période des temps géologiques que l’on appelle l’Oligocène ( -34 à -23 millions d’années). À cette époque, les paysages français étaient très différents de ceux que nous connaissons actuellement : les Alpes commencent à peine à se former, les Pyrénées sont encore toutes jeunes, et la Corse et la Sardaigne viennent à peine de quitter le littoral provençal pour aller former les iles que nous connaissons aujourd’hui.

Fossiles de poissons Oligocènes. Photo prise au musée de Vachères.
Fossiles de poissons Oligocènes. Photo prise au musée de Vachères.

Le climat était également très différent du climat actuel. L’Oligocène est caractérisé par un refroidissement par rapport à la période précédente (l’Éocène). En effet, la calotte glaciaire antarctique a commencé à se développer à l’Oligocène. Cependant, les températures étaient quand même plus élevées qu’à l’heure actuelle, comme en témoigne le pôle nord, qui était lui libre de glace. Le climat européen devait alors ressembler à un climat de type savane.

Fossiles de poisson et de feuille Oligocènes. Photo prise au musée du parc de Apt.
Fossiles de poisson et de feuille Oligocènes. Photo prise au musée du parc de Apt.

Une reconstitution paléogéographique de l’Europe à l’Oligocène (http://www.lithotheque.ac-aix-marseille.fr/…/rupelien_MR.jpg) nous montre que le Luberon était émergé à l’Oligocène. Les poissons qui nous intéressent vivaient donc dans un lac. Ce lac était borné par de légers reliefs formés par des plissements associés à la poussée pyrénéenne. Ces reliefs ont ensuite été amplifiés par la formation des Alpes pour former au nord le plateau d’Albion, et au sud, les massifs du grand et du petit Luberon.

Photo d'empreinte de mammifère oligocène. L’animal ayant laissé cet empreinte  est probablement un ancêtre des Rhinocéros actuels.
Photo d’empreinte de mammifère oligocène. L’animal ayant laissé cet empreinte est probablement un ancêtre des Rhinocéros actuels.

Au bord de ce lac vivaient un ancêtre des rhinocéros et une sorte de « gazelle » : le Bachiterium. On retrouve de très belles empreintes de ces animaux fossilisées sur une dalle à proximité de la commune de Viens et de magnifiques fossiles sont exposés au musée communal de Vachère (que je vous invite à aller visiter : http://musee.vacheres.free.fr/) et au musée du parc à Apt (https://www.parcduluberon.fr/geosite/musee-de-geologie/).

Fossile de "Bachiterium". Photo prise au musée de Vachères.
Fossile de « Bachiterium ». Photo prise au musée de Vachères.

Enfin, dans ce lac vivaient des poissons : les fameux poissons fossiles qui illustrent cet article. Le lac étant un environnement de dépôt assez calme, de fines argiles, mais également des toutes petites coquilles d’organismes unicellulaires se déposent au fond pour former un sédiment très fin. Ce sédiment est tellement fin qu’il moule très précisément les cadavres des poissons et autres animaux qui meurent dans ce lac, permettant une qualité de fossilisation exceptionnelle ! Les fossiles que l’on retrouve aujourd’hui dans les formations Oligocènes du Luberon sont tellement précis qu’ils ont conservé l’empreinte des parties molles des différents organismes. On peut ainsi remarquer qu’un des poissons fossiles que je vous présente était sur le point de pondre. D’autres fossiles permettent de voir les plumes d’un oiseau, les ailes d’une libellule, ou les nervures d’une feuille ! Bref, des fossiles de 30 000 000 ans qui permettent de toucher du doigt la vie de l’Oligocène, comme si nous avions voyagé dans le temps !

Fossile d'oiseau Oligocène. Photo prise au musée du parc à Apt.
Fossile d’oiseau Oligocène. Photo prise au musée du parc à Apt.

PS : Les photos qui illustrent cet article ont été prises à l’occasion de voyages géologiques organisés par le centre de Géologie de l’Oisans dans la réserve naturelle nationale du Luberon. Les photos de fossiles ont été prises dans le musée communal de Vachère (un petit musée communal tenu à bout de bras par une équipe de bénévoles et qui fait un travail formidable et présente une collection géologique et archéologique exceptionnelle : http://musee.vacheres.free.fr/) et au musée du parc à Apt (visite gratuite https://www.parcduluberon.fr/geosite/musee-de-geologie/).

PS 2: La richesse géologique du Luberon est telle qu’elle a justifié la création d’une Réserve Naturelle Nationale Géologique (Décret 87-827 du 16 septembre 1987). Afin de protéger ce patrimoine exceptionnel pour les générations futures (les fossiles ne repoussent pas !) je vous rappelle que l’extraction et le ramassage de fossiles et minéraux sont interdits dans la réserve ! Merci.

*12 millions d’Américains et près d’un français sur dix selon National Geographic, voir références ci-dessous.

Références :
https://www.nationalgeographic.fr/…/la-terre-est-elle-vraim…
https://www.nationalgeographic.fr/…/un-francais-sur-10-pens…